Gaillac : Rouault 4 ans pour un Miserere

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Gaillac : Rouault 4 ans pour un Miserere
Rouault en noir et blanc pour un Miserere : « J’avoue avoir été saisi par ce personnage qui a traversé deux guerres ; il y a du verrier dans cet art-là. »
Georges Rouault : un peintre atypique
Né le 26 mai 1871, dans une cave pendant la terrible semaine des massacres de la Commune de Paris, Georges Rouault portera toujours comme en filigrane les circonstances dramatiques de cet événement comme une sorte de fil conducteur de sa vie, d’où il tire une conception dramatique de l’existence. Apprenti chez un fabricant de vitraux dès 14 ans, il devient à 20 ans l’élève préféré de Gustave Moreau, dont il suit les cours à l’Ecole des Beaux-Arts. Celui-ci en fera le conservateur de son musée. Georges Rouault s’écarte du fauvisme pour trouver un style qui lui est propre ; il déroge à l’académisme ambiant en privilégiant la force de l’expression et en s’appuyant sur le traitement de la couleur et de la matière ; il s’inspire de l’art du vitrailliste qui souligne et rehausse les couleurs par les contours de plomb qui les cernent.
Un contempteur de ses contemporains touché par la grâce
Contempteur de la société, il dresse une galerie de portraits sans concession de certains de ses contemporains, bourgeois et juges, leur reprochant « leur cruauté, leur égoïsme, leur suffisance, leur pharisaïsme ». A partir de 1901, après avoir rencontré des écrivains chrétiens comme Léon Bloy ou Joris-Karl Huysmans, son parcours s’infléchit pour donner plus d’importance à la figure du Christ, qu’il représente très souvent. Cet attachement mystique lui ouvre la porte d’une grande proximité avec l’homme, l’homme le plus simple, avec des sujets comme les prostituées, les clowns, les gens du cirque. Il veut redonner à l’homme sa noblesse, en éclairant l’accès à la grâce issue de la rédemption. Il renoue avec la tradition d’un art chrétien tombé en désuétude depuis des dizaines d’années. Il passe ainsi d’un regard critique à un regard compatissant aux détresses de vies desséchées par les compromissions et les déserts spirituels.
Les derniers temps
Eloigné de Paris pendant la seconde guerre mondiale, il vit pendant 4 ans dans le Maine à Beaumont-sur-Sarthe ; sorti vainqueur de son marathon judiciaire avec la famille Vollard, il exerce un droit de repentir sur les œuvres qu’il récupère ; sur les 800 tableaux qui lui sont restitués en 1948, plus de 300 qu’il juge inachevés sont détruits. A la Biennale de Venise, la même année, la France reconnaît la notoriété de Rouault par l’envoi officiel de vingt-six de ses peintures et douze de ses gravures. Volontaire jusqu’à la fin, Rouault continue son œuvre de peintre et de graveur et s’éteint en 1958 ; l’Etat lui réserve des funérailles nationales.
Miserere : livre de peintre, fruit d’une longue collaboration avec Ambroise Vollard
Comme l’explique Danièle Giraudy, conservatrice de la Fondation des Treilles dans la présentation de l’exposition sur le site internet des musées de Midi-Pyrénées, « le livre de peintre est une innovation du XX° siècle, due à deux galeristes, Ambroise Vollard et Daniel Henry Kahnweiler, qui passent commande à leurs peintres de livres illustrés exceptionnels, et les éditent dans des conditions luxueuses, pour quelques amateurs éclairés et pour leurs collectionneurs, créant ainsi entre les lettres et les arts, des correspondances nouvelles ». Le Miserere est le fruit d’un travail de longue haleine ; Rouault rencontre Ambroise Vollard et de leur collaboration compliquée naîtra ce livre de peintre qui ne trouvera son aboutissement qu’en 1948. Entre temps, Rouault engagé par un contrat d’exclusivité vis-à vis de Vollard, met à profit les 4 années de la guerre de 1914-18 pour dessiner ses portraits et scènes du Miserere. La période de la gravure s’étale sur environ 10 ans, entre 1917 et 1927. Pour tirer les planches des gravures, Vollard préconise d’utiliser des papiers les plus précieux, du vergé de Montval, du Japon impérial, où il appose sa signature en filigrane ; il recommande même certains caractères typographiques qu’il juge plus accordées aux eaux-fortes de Rouault. Plus tard, Vollard demande ensuite à neutraliser les plaques de cuivre en les faisant rayer. Vollard étant décédé en 1939 d’un accident de voiture, Georges Rouault a maille à partir avec ses héritiers dans une procédure qui durera 8 ans, mais au terme de laquelle il finit par obtenir gain de cause. Le Miserere est produit en 425 exemplaires, il n’est pas le seul dans les débuts du XXème siècle, Rouault fera paraître le livre des Réincarnations du Père Ubu, puis le Cirque de l’Etoile filante en 1936 et enfin Passion en 1939. Picasso et le poète Pierre Reverdy signeront de leur côté « Cravates de chanvre », publié en 1922.
Un message d’espoir malgré la noirceur du trait
«Le Miserere, c’est le grand testament du peintre. Malgré la splendeur de ses toiles où règne la trinité bleu-vert-rouge des vitraux gothiques, la dominante n’est-elle pas toujours le brouet noir de la souffrance ? » ; à ce constat donné en préambule de cet ouvrage, on peut répondre que Georges Rouault a traversé deux guerres ; « la première est pour lui un sujet d’angoisse et de satire aussi ; cette peinture mystique nous fait broyer du noir mais la figure de l’aube éternelle transparaît dans la face souffrante de celui qui s’est fait obéissant jusqu‘à la mort ».
Ensuite, dans chacun de ses portraits, Rouault veut voir au-delà de l’habit, de l’apparence, la vraie nature de l’être ; c’est ce qu’il confie dans ce passage au sujet du clown triste, du pitre, « Le « pitre » c’était moi, c’était nous… Cet habit riche et pailleté, c’est la vie qui nous le donne… Mais si on nous surprend comme j’ai surpris le vieux pitre, oh alors, qui osera dire qu’il n’est pas pris jusqu’au fond des entrailles par une incommensurable pitié. J’ai le défaut de ne jamais laisser à personne son habit pailleté. Fût-il Roi ou Empereur, l’homme que j’ai devant moi; c’est son âme que je veux voir ».
Si l’impression de détresse et d’angoisse manifestée dans ces 58 gravures du Miserere est patente en raison du thème abordé, les malheurs de la guerre, il y a toujours une touche d’espoir qui transparaît, instillée par la vive foi du peintre qui fait écho à cette douleur humaine, à cette souffrance altruiste où le croyant peut discerner le signe de « Celui qui a pris notre humanité ».
Au final, il se dégage de l’ensemble de son œuvre « la tranquillité d’un artiste qui malgré ses dénonciations des travers de la société des hommes, a foi en ce monde, tel ce « modèle de l’intégrité absolue, de la patience acharnée et du travail dévorant, de l’inflexible fidélité à la vision intérieure que sont les premières exigences de l’art », trouvé par Jacques Maritain en son ami Rouault ».
Ils ont dit lors du vernissage
Une dame confie : « Je suis fascinée par ces gravures ; ce sont des thèmes que les grands peintres ont traités. ». Pour Alain Soriano, cette exposition représente « un ensemble tout à fait cohérent et très fin; en utilisant l’encre noire sur fond blanc, Rouault s’adresse à notre intériorité ; cela nous prend ; c’est très poignant. C’est une force de vie dans cette représentation de la mort du Christ ; il y a le symbole de la résurrection. Ce sont des œuvres marquées par le temps ; la guerre de 1914-1918, ce n’est jamais très gai. La présence des squelettes ? C’est la mort qui attend les soldats ; ces gravures sont un cri de révolte contre la guerre ». Lucien, peintre et restaurateur de tableaux, ajoute en connaisseur : « C’est d’abord tout à fait exceptionnel de voir tous ces tableaux ensemble. Et la force et la lumière qui transparaissent dans ces œuvres m’impressionnent beaucoup ».
Une autre visiteuse remarque la finesse de ces tons bicolores : « Noir et blanc se superposent mais en même temps c’est très expressif ; il ya des nuances de gris et de blanc. J’y vois aussi, un espoir qui émerge au-delà du sombre, malgré la noirceur ».
Retour sur l’inauguration dans le cadre superbe du parc du château de Foucaud
Bertrand de Viviès conservateur des musées de Gaillac avait convié après la remarquable visite guidée effectuée par Maryvonne de Saint Fulgent, présidente de la Fondation des Treilles, rejointe, par Anne Bourjade qui en est la directrice et Dominique Augé, photographe de la fondation, l’ensemble des personnalités et des invités sur le côté méridional du château de Foucaud où avait lieu le vernissage proprement dit. Après les discours officiels, les invités se sont donc retrouvés autour d’un buffet convivial où cerises des Fédiès et vin effervescent de la méthode gaillacoise ont conquis les palais les plus exigeants pour des échanges informels et très divertissants. Merci à la fondation des Treilles de son prêt et à l’équipe de Bertrand de Viviès pour ce moment artistique de haut vol !
Questions à Maryvonne de Saint Fulgent
On trouve beaucoup d’hommes dans ces représentations dans ce Miserere, n’y a-t-il pas des figures féminines chez Rouault ?
Oui, il y en a ; regardez ses œuvres sur le livre du Cirque : les écuyères y sont nombreuses. On trouve aussi des prostituées lourdes et maquillées. (Voir aussi ses portraits de Véronique et de Rachel-NDLR). Quant aux hommes, juges ou politiciens par exemple, ils sont dessinés à grands coups de burin ; on dirait familièrement : « Il se les fait ». La naissance emblématique dans la cave de la commune est comme une antithèse avec le musée Gustave Moreau. Toute son œuvre du Miserere représente une relation intime et passionnée avec chacune des images.
Combien de temps pour le Miserere ?
La conception et les premières réalisations ont duré 4 ans entre 1914 à 1918, puis la gravure proprement dite s’est étalée sur 10 ans de 1917 à 1927 ; Ambroise Vollard fit ensuite rayer les plaques de cuivre ; il a été tiré 425 exemplaires de ce livre ; la Fondation des Treilles possède l’exemplaire n°5. Le tirage a pu sortir en 1948.
Michel Dutot, adjoint culture mairie de Gaillac : Rouault, témoin privilégié de la guerre 1914-18
Je salue la présence de Dominique Laugé, gaillacois et photographe de la fondation des Treilles. Georges Rouault est un des artistes majeurs du XXè siècle. Au moment, où nous fêtons le centenaire de la guerre de 1914-18, Rouault est un témoin privilégié de cette période, développant ses thèmes de la mort et de l’inquiétude religieuse ; le Christ et la mort sont au premier plan. Il est connu pour son amitié avec Léon Bloy et ses pamphlets anti-bourgeois ; il se liera d’amitié avec le philosophe Jacques Maritain. Merci à la Fondation des Treilles qui a permis cette exposition. Merci à l’équipe de Bertrand de Viviès.
Anne Bourjade : Le rôle important de mécène d’Anne Gruner Schlumberger
Anne Bourjade évoque l’influence très importante d’Anne Gruner Schlumberger (1905-1993), amie de musiciens comme le violoniste Alexandre Schneider, d’artistes et mécène, qui a raconté ses souvenirs dans son livre « La boîte magique ». Le 7 septembre 1986 : inauguration en présence du président Mitterrand.
Extrait site fondation des Treilles note M. de Saint Fulgent :
« J’inscris la Fondation comme un descendant des trois premiers créateurs de Schlumberger, dont l’éthique était de faire confiance à des jeunes, d’être le creuset d’idées nouvelles et de collaborer à des projets dans le monde entier. » Par cette phrase, prononcée le 7 septembre 1986, lors de l’inauguration du « Jardin des Sondes » en présence du Président de la République François Mitterrand, Anne Gruner Schlumberger souligne la filiation de cet espace destiné à « offrir un lieu de rencontres où créateurs et chercheurs se retrouvent » avec l’œuvre des générations précédentes de sa famille.
Parallèlement à la construction du domaine, Anne Gruner Schlumberger rassemble un nombre important d’œuvres d’art dont elle a légué une partie, 800 pièces environ, à la Fondation des Treilles. Y figurent Dubuffet, Giacometti, Picasso, Max Ernst ou Victor Brauner qu’elle a personnellement connus et avec lesquels ont existé des liens d’amitié dont témoigne sa correspondance, ainsi que des œuvres d’artistes plus récents.»
Maryvonne de Saint Fulgent : Rouault, un graveur et un peintre qui fait écho aux révoltes actuelles
Rouault restera toujours comme l’ami des plus pauvres et des plus petits. Il a tout d’abord travaillé sur le vitrail ; on en voit l’influence dans ses gravures qui paraissent ornées de cernes de plomb. Il est marqué par sa double vie de peintre et de graveur. Il participe à la création des livres d’artistes avec Ambroise Vollard, qui permet l’entrecroisement très créatif d’œuvres de peintres et de grands auteurs, de poètes. Le Miserere est le fruit d’un accouchement long et douloureux, après notamment le contrat d’exclusivité qui liait Rouault à Vollard à partir de 1917. Pour ce livre, ont été utilisées des rames énormes de papier ; 58 plaques ont été gravées par Rouault entre 1917 et 1927. Les feuilles portaient en filigrane le nom de Vollard. La parution de l’ouvrage date de 1948. Ces gravures sont poignantes, nous parlent encore et font écho aux justes révoltes d’aujourd’hui.

Bertrand de Viviès : Un grand merci à la Fondation des Treilles et à l’équipe de préparation
Bertrand de Viviès : Je souhaite dire ici mon infinie reconnaissance aux membres de la Fondation des Treilles. Merci à toute l’équipe qui a aidé à la préparation et à la mise en place de cette exposition : Anne Guérineau, Delphine Guillemette…Je voudrais signaler aussi une exposition d’un Chemin de Croix de Gustave Moreau dont les toiles ont quitté momentanément l’église de Decazeville pour les cimaises du musée Denys Puech de Rodez. Elle a lieu également pendant l’été.
Texte et propos recueillis : Pierre-Jean Arnaud

Pratique :
Exposition à voir du 5 juillet au 16 septembre 2013 au musée des Beaux-Arts de Gaillac, Avenue Dom Vaysette.
Exposition organisée grâce à un prêt de la Fondation des Treilles
tarif : 4 € / réduit 2,50 €
visites guidées du 11 juillet au 29 août – tous les jeudis à 10h30 (sauf le 15 août) – visite guidée de l’expo-1 € + tarif de l’expo ;
Jeudi 5 septembre– de 12h45 à 14h-Musée des Beaux-Arts -Pause café, pause musée.

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