Toulouse basilique Saint-Sernin : Vendredi 10 avril 2015 : 20h
Conférence du cardinal Robert Sarah : A propos de son livre « Dieu ou rien » (2)
Témoignage de Mgr Robert Sarah à Saint-Sernin, ce vendredi 10 avril 2015
Mgr Sarah est introduit par le curé de la basilique Saint Sernin qui l’accueille en ce lieu saint de l’Eglise, dans cette basilique, lieu du tombeau de Saint Sernin, le saint patron de Toulouse. Mgr Sarah dans un langage simple et direct s’adresse aux centaines de personnes venues l’écouter.
Préambule
« Je suis heureux d’être parmi vous ce soir pour vous parler dans cette église. Je suis Préfet de la congrégation pour le culte divin depuis novembre 2014. J’ai été pendant 9 ans secrétaire de la Congrégation pour l’Evangélisation des Peuples. En 2010, Benoît XVI m’a confié le Conseil pontifical Cor unum, qui coordonne les organismes de charité dans le monde catholique. J’ai voyagé plusieurs fois au Moyen-Orient, en Syrie, au Japon, en Amérique latine. Cor unum gère la Fondation Jean-Paul II pour le Sahel ainsi que la Fondation Populorum progressio. Quand je revois ma vie, je pense que j’ai été béni par le Seigneur vu mon parcours à l’intérieur de l’Eglise. Pour ce soir, je voudrais vous redire les 3 tâches auxquelles tout chrétien, tout baptisé est appelé :
1) Evangéliser
2) Témoigner de la charité
3) Redécouvrir la liturgie : découvrir la beauté, la sacralité de la liturgie car c’est le lieu d’un contact personnel avec Dieu ; ce n’est pas qu’une question de rites.
Présentation du livre et quelques éléments de biographie
Ce livre est le résultat de plusieurs mois de colloques et d’entretiens avec Nicolas Diat, dont certains ont eu lieu devant le Saint Sacrement. C’est l’histoire d’une vie mais c’est avant tout un témoignage que je vous adresser.
J’étais le seul enfant de ma famille, qui était pauvre et qui vivait en Guinée. Dieu a pris cet unique enfant de cette famille dans un contexte économique et politique difficile. Pendant 26 ans, la Guinée première nation à accéder à l’indépendance, a été éprouvée. Le pouvoir en place a alors confisqué tous les biens de l’Eglise. Le 1er archevêque de Conakry, Mgr …. A été expulsé. Le 2ème archevêque a été arrêté. Je suis d’abord allé en Côte d’Ivoire, après un voyage de 4 jours de bateau entre Conakry et Abidjan. En effet, en Guinée, il n’y avait pas de séminaire, mais un lycée d’Etat. J’ai ensuite continué d’approfondir ma vocation en France à Nancy. C’est là que j’ai vu pour la première fois la neige. Je suis reparti vers le Sénégal et j’ai été ordonné prêtre, le 20 juillet 1969, le jour même où, rappelez-vous, un grand évènement s’est produit : l’homme a débarqué sur la lune. J’ai poursuivi à Rome des études de théologie dogmatique et grégorienne, des études bibliques, ainsi qu’à Jérusalem. Pendant un an et demi, j’ai été curé de paroisse, puis responsable d’un séminaire. En 1970, mon évêque a été arrêté et en 1978, j’ai été nommé archevêque de Conakry par Paul VI. Le gouvernement s’y est opposé ; il a fini par céder au bout d’un an et quatre mois. Jean-Paul m’a confirmé en 1979 archevêque de Conakry. Quand j’ai été ordonné par Paul VI, j’avais 33 ans ; j’étais « crucifié » car j’étais évêque dans un contexte difficile. Jean-Paul II m’avait appelé le « vescovo bambino », l’évêque bébé ; j’avais 34 ans.
Les souffrances qui ont affecté la Guinée pendant 26 ans ont renforcé sa foi chrétienne. Si on ne porte pas la Croix, la foi ne peut se vérifier chez un chrétien. Le Centurion présent au moment de la crucifixion a donné son témoignage ; il a reconnu le Christ sur la Croix (« Vraiment cet homme était le Fils de Dieu »). La Croix est une réalité qui nous façonne et qui nous configure au Christ. Cette maturation du chrétien, je l’explique dans les premiers chapitres.
Les raisons de ce livre
L’idée de rédiger un livre s’est fait jour ; on disait : – Ce serait bien de parler avec le cardinal Sarah mais j’ai dit : – Ma vie personnelle n’a aucun intérêt. Ce livre porte sur des questions importantes de la Société. La préoccupation essentielle est l’absence de Dieu ; c’est cette idée qui est centrale. Jean XXIII a convoqué le concile pour vérifier cette absence de Dieu. Si vous lisez la conclusion du concile Vatican II par Paul VI, tout est centré sur Dieu.
Depuis 70 ans, il y a une absence absolue de Dieu dans la société occidentale. Jean Paul II a dit : « L’Occident vit comme si Dieu n’existait pas. ». La même constatation a été faite par Benoît XVI qui parle d’une crise qui exclut Dieu de la politique, de la vie humaine.
Comment redonner à la société cette présence vitale de Dieu ?
Il s’agit de replacer Dieu au centre de nos pensées, de notre agir, de notre vie. Comment faire pour que toute notre vie chrétienne pivote (gravite) autour de Dieu ? Sans Dieu, l’homme ne sait pas ce qu’il veut ni où il va.
Les textes de Vatican II : L’Eglise ne peut briller si elle se détache du Christ
Le premier texte de Vatican qui a été publié est celui sur la Liturgie : Sacrosanctum Concilium. Qui dit liturgie dit adoration, qui dit adoration dit Dieu.
Le deuxième texte est Lumen gentium : Eglise, lumière des nations ; il traite de l’Eglise : on a beaucoup parlé de l’Eglise, peuple de Dieu, en y ajoutant parfois une connotation politique. Regardons la 1ère phrase : « Il faut que la clarté du Christ brille sur le visage de l’homme. ». L’Eglise est comme la lune ; elle ne brille pas de son propre éclat ; elle ne brille que si elle reflète la lumière du soleil. L’Eglise ne peut briller si elle se détache de Jésus-Christ.
Le troisième texte est Dei Verbum : La Parole de Dieu. La Parole de Dieu doit être mise à disposition des peuples. Il est important que chaque chrétien ait la Bible dans sa maison. Nous avons en tête la phrase du prophète : « La Parole me réveille chaque matin ; chaque matin, elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire » Isaïe 50,4. Elle convoque l’Eglise pour la nourrir, la vivifier.
Le quatrième texte est Gaudium et spes : La joie et l’espérance. Toute l’activité, toute la vie de l’Eglise est éclairée par Dieu.
Tous ces textes rappellent le primat de Dieu dans la vie de l’Eglise, dans la vie de chaque baptisé. Le chrétien est le Christ lui-même. Ainsi saint Paul a-t-il raison de dire : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Si nous prenons conscience que Jésus s’est livré pour nous, notre vie changera absolument. Je suis venu d’un petit village, dans une famille pauvre. Jésus a pris un petit enfant dans la brousse qu’il a conduit en Côte d’Ivoire, en France, au Sénégal, en Italie, au centre de la catholicité. Je suis toujours émerveillé de cette prédilection de Dieu à mon égard.
Ecoutons le pape François et agissons
Nous sommes en Occident, indifférents, froids ; cette indifférence s’est en Occident transformée en positions radicales contre l’Eglise, contre son enseignement, contre sa morale. Une chose est d’écouter le pape François et une autre est de changer notre vie parce qu’on a écouté sa parole. J’espère que dans quelque temps la parole du pape François va changer l’Occident, cet Occident qui détruit la famille, les personnes âgées, les souffrants. C’est une crise qui ne s’est jamais vérifiée dans l’histoire du monde, avec une conception nouvelle de la famille, du mariage.
Dieu ou rien : un compagnon de vie pour des vraies questions et des réponses claires
Ce livre ‘Dieu ou rien’ se veut un compagnon de vie pour réfléchir aux vraies questions et y apporter des réponses claires et exigeantes envers nous-mêmes. On ne progresse et cela est vrai en tout domaine, que si on est exigeant envers soi-même.
J’ai reçu le Christ grâce à vous ; je dois vous le restituer
C’est aussi un livre pour aider l’Afrique, le monde. J’étais là quand les missionnaires spiritains sont venus dans mon village. Plusieurs mouraient peu de temps après leur arrivée ; l’un d’entre eux est décédé 6 mois après son arrivée. C’est ainsi que j’ai reçu le Christ grâce à vous. Je dois vous le restituer. Je ne porte aucun jugement sur les personnes. La grâce que j’ai reçue, je veux la partager.
Des papes extraordinaires
Nous avons la chance d’avoir des papes extraordinaires : Jean XXIII, le bon pape Jean, qui a engagé le Concile ; Paul VI, un pape courageux, qui a rencontré beaucoup d’oppositions à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise. Il a fait paraître l’encyclique Humanae vitae, texte difficile à accueillir pour beaucoup. « Demain, vous me remercierez », avait-il dit. Et pourtant, combien la vie humaine est-elle attaquée ? Combien y a-t-il d’avortements au monde ? Mgr l’archevêque d’Ho-Chi-Min, parle de 1 600 000 avortements par an au Vietnam.
Jean-Paul II, un grand saint qui a parcouru le monde pour proclamer le Christ. Il est même allé au Maroc pour parler de la Trinité à des musulmans. C’était une grâce de l’avoir connu ; il était configuré au Christ. Même abîmé par la maladie, il a voulu en ce Vendredi Saint 2005, avec son corps crucifié, adresser une parole au monde entier depuis sa chambre. Il n’a pas pu la prononcer mais l’Evangile se lisait sur son corps abîmé. Jean-Paul II nous laisse ce message : nous devons évangéliser par le témoignage physique de notre corps.
Benoît XVI est un homme humble qui prie beaucoup ; il a été contesté et assimilé à son origine allemande. Il est doté d’une humilité extraordinaire. Son silence dans un monastère où il s’est retiré, c’est la plus grande encyclique qui dit le primat de Dieu. Il est enfermé toute la journée pour prier et pour parler avec Dieu. Un autre exemple de retrait est venu d’un évêque du Kenya qui a voulu entrer chez les trappistes à Rome. Canoniquement, c’est impossible. Finalement, il a été accepté en tant qu’ « hôte permanent ». Il s’est confié en disant : « Toute ma vie, j’ai parlé de Dieu. A 80 ans, je vais passer le reste de ma vie à parler à Dieu. »
Aujourd’hui nous avons une mission : la nouvelle évangélisation
Aujourd’hui nous avons une mission : la nouvelle évangélisation. La nouvelle évangélisation, c’est de parler de Dieu, de le laisser par transparence pénétrer le cœur des personnes. Nous voulons voir Jésus, disait l’apôtre Philippe. « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. », disait Jésus. Sur la Croix, tout le monde devrait découvrir Jésus. Nous avons eu de grands témoins comme Jean Paul II, Benoît XVI, mère Teresa. Nous avons besoin de saints. Ce n’est pas le nombre de chrétiens qui vont à l’église qui est important, mais le nombre de chrétiens qui vont vers la sainteté. Dieu est avec nous chaque fois que nous participons à l’Eucharistie.
Propos recueillis par Pierre-Jean Arnaud- le 10 avril 2015.